PHILIPPE CLAUDEL – DE QUELQUES AMOUREUX DES LIVRES... (EXTRAIT)
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Il y eut ainsi, depuis des siècles, vivant dans une opaque et
insoupçonnable solitude, des créatures qui pensaient que ce qui sourdait de
leur cerveau et se traduisait en un assemblage de mots pouvait à l’humanité
servir. La consoler, l’émouvoir, l’éclairer. On pardonna beaucoup au péché
d’orgueil qui animait ces êtres. On les écouta souvent. On les célébra parfois.
On donna à des avenues leurs noms. On sculpta dans le marbre et le bronze leur
visage et leurs mains. On les coucha dans de grands dictionnaires, des
encyclopédies. Il fallait bien voir leurs efforts se prolonger d’un écho. Mais
au vrai, ils ne servirent à rien qu’à distraire les mortels de leur temps. Et
leurs livres sont comme des mues tombées dans les siècles aveugles et sourds.
Car rien jamais ne change l’homme. Rien ne remodèle la pâte dont il est fait,
pour une fois et pour toujours. L’Histoire n’existe pas. Le Temps n’est qu’une
illusion qui est l’autre nom de l’espoir. Car il en faut bien un. Sinon
quoi ? Mais comment dire cela à l’enfant quand il s’avance dans l’âge de
comprendre. Nous sommes les dépositaires de l’éternel mensonge. Nous le
prolongeons. Le monde est une brume de chaleur qui s’élève dans le coeur d’un
été qui n’est pas un été, mais le rêve de ce que pourrait être un été, s’il
existait, s’il existait vraiment, ailleurs que dans les livres qui sont les
matières fragiles de nos mémoires.
(Philippe
Claudel – Des quelques amoureux des
livres... (2015)
Francia, Editorial: Finitude)
PHILIPPE
CLAUDEL – DE ALGUNOS ENAMORADOS DE LOS LIBROS... (FRAGMENTO)
(Traducción: Abraham Rojas Vargas y Flor Vargas
Benavente)
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